Écrit un soir de retour de voyage, quand les visages croisés ailleurs me manquent et que la douceur des rencontres me rappelle combien il est fragile de rester humain dans un monde pressé.
Voyager, c’est accepter d’être déplacé, au sens le plus intime du mot.
Changer de décor, c’est facile. Mais changer de regard, c’est une autre aventure.
Et souvent, c’est en marchant ailleurs que j’ai compris combien la différence peut être belle… et combien l’indifférence peut faire mal.
Différence. Indifférence.
Deux mots presque jumeaux, séparés par deux lettres, celles qui changent tout.
La différence, c’est ce qui relie : elle ouvre, elle questionne, elle éclaire.
L’indifférence, elle, referme. Elle efface les contours. Elle rend le monde gris.
Je me souviens d’un homme croisé dans un musée au Japon. Il m’avait parlé en souriant, avec des gestes plus qu’avec des mots. Il voulait simplement savoir d’où je venais, si le voyage me plaisait, si j’avais mangé. Cette attention minuscule, un mot, un regard, une grue en origami posée sur le siège, m’a suivie longtemps.
Parce qu’elle disait l’essentiel : je te vois.
Et puis, il y a le retour.
Les visages pressés dans les gares, les sourires distraits, les conversations où l’on s’écoute sans s’entendre vraiment. On parle de bienveillance, de respect, de confiance… mais dès qu’un cœur s’ouvre un peu trop, beaucoup préfèrent détourner le regard. Comme si ressentir devenait une faiblesse et s’intéresser, une perte de temps.
Il faut une force douce pour ne pas devenir indifférent. Pour continuer à tendre la main, à s’émerveiller, à croire aux liens même éphémères. Cette force, je la trouve toujours « en voyage » ou simplement en moi.
Dans un marché bruyant, dans un café à l’aube, dans la manière dont un inconnu vous aide à retrouver votre chemin sans rien attendre. Ces gestes me rappellent que la tendresse est universelle, et que la différence n’est pas une barrière, mais un langage.
Philosophiquement, certains ont voulu faire de l’indifférence une sagesse : ne pas se laisser troubler, garder sa paix intérieure. Mais la paix sans émotion n’est qu’un désert poli.
Je crois au contraire que la vraie sérénité, c’est celle qui accepte d’être touchée sans être détruite. Celle qui sait pleurer devant un temple, rire avec un inconnu, ou rester silencieuse devant un lever de soleil.
Voyager, c’est apprendre la vulnérabilité.
C’est ne plus savoir, ne plus comprendre, ne plus maîtriser et rester ouvert malgré tout. C’est accepter que les autres ne pensent pas comme nous, ne prient pas comme nous, ne mangent pas comme nous, et trouver cela beau. Et aussi, parfois, découvrir que chez soi, dans la routine, la pire des distances n’est pas géographique : c’est celle que crée l’indifférence.
Je me demande souvent pourquoi elle s’installe, cette indifférence du quotidien. Peut-être parce qu’on est saturé de tout. D’images, d’émotions, d’histoires à moitié vraies. Alors, on se protège. On met une distance de sécurité entre soi et le monde. Mais à force de tout tenir à distance, on finit par s’éloigner aussi de soi-même.
Et pourtant, à chaque voyage, quelque chose me réapprend la tendresse. Une grand-mère en Estonie qui m’offre un gâteau sans parler ma langue. Un jeune homme au Pérou qui sourit simplement pour dire merci. Une enfant qui rit de mes erreurs de prononciation à Irkoutsk. Tous ces moments disent la même chose : la différence est un pont, pas une frontière.
Je repense souvent à cette phrase de Saint-Exupéry : « Loin de me léser, mon frère, ta différence m’enrichit. » Oui. Mais seulement si je choisis de ne pas rester indifférente à ta différence. Parce qu’il ne suffit pas de tolérer : il faut accueillir. Il ne suffit pas de regarder : il faut voir. Et il ne suffit pas de voyager : il faut rencontrer.
Rester tendre dans un monde indifférent, c’est cela.
C’est ne pas fermer la porte quand la fatigue du monde nous la pousse au nez. C’est continuer à croire qu’un regard peut changer une journée. Mais aussi comprendre que la plus belle découverte n’est pas un lieu, mais un visage.
Alors, j’apprends.
À chaque vol, à chaque retour, à chaque silence. J’apprends à ne pas durcir, même quand j’ai été déçue.
Puis à dire “merci” même quand personne ne répond.
J’apprends à aimer le monde pour ce qu’il offre encore : ces moments suspendus où l’on se reconnaît entre deux différences et où, l’espace d’un instant, l’indifférence recule.
Apprendre à rester tendre dans un monde indifférent, ce n’est pas un programme de voyage, c’est une manière de marcher.
C’est un choix.
Celui de continuer à voir, à écouter, à croire. Même quand plus personne ne semble regarder.
Carnet d’une voyageuse qui refuse de devenir indifférente au monde 😉 Réflexion sur : différence indifférence
